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Entre la dette, l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre…

04 déc. 2021
Analyse

Entre la dette, l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre…


L'endettement des ménages, principalement en raison des emprunts hypothécaires, ne cesse d'augmenter au pays.

PHOTO : RADIO-CANADA / FRANÇOIS GAGNON

Gérald Fillion

L’endettement, celui des individus comme celui de l’État, est probablement le grand oublié du discours du Trône présenté mardi à Ottawa. Pendant que la gouverneure générale énonçait les grandes priorités du gouvernement, un sous-gouverneur de la Banque du Canada prononçait un discours dans lequel il évoquait une possible correction dans le marché de l’immobilier, ce qui aurait un impact important sur les ménages endettés.

Il faut dire que le discours du Trône est un énoncé de grands principes et de larges intentions. N’empêche, le gouvernement a donné des indications relativement claires de sa stratégie pour lutter contre l’inflation, à son plus haut en 18 ans.

Justin Trudeau appuie sa stratégie pour contrer l’inflation sur deux piliers : les garderies à 10 $ et des soutiens pour aider les gens à accéder à la propriété. C’est bien, mais qu’en est-il des ménages qui se sont fortement endettés depuis deux ans et qui pourraient avoir du mal à respecter leurs obligations financières, une fois que les taux d’intérêt vont se mettre à remonter quelque part en 2022?

Des ménages extrêmement endettés

Selon la Banque du Canada, la part des nouveaux prêts hypothécaires – assurés et non assurés – qui représentent plus de 450 % du revenu du ménage, ce qui est considéré comme extrêmement élevé, est passée d’un peu moins de 15 % en 2019 à plus de 25 % aujourd’hui, avec une accélération depuis le début de la pandémie.

Dans un discours prononcé mardi dans le cadre d’un événement de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, Paul Beaudry, sous-gouverneur à la Banque du Canada, a expliqué clairement les risques qui pèsent sur le marché immobilier.

L’arrivée soudaine de nouveaux investisseurs sur le marché du logement, a-t-il dit, a vraisemblablement contribué à la montée rapide des prix plus tôt cette année. Dans un cas comme celui-ci, les anticipations d’une hausse future de prix peuvent devenir autoréalisatrices, du moins pour un certain temps, ce qui peut accroître les chances qu’une correction se produise sur le marché.

Le mot correction  a été prononcé par la Banque du Canada, ce qui soulève des préoccupations réelles sur l’état du marché de l’immobilier. Les conséquences peuvent toucher bien plus que les investisseurs, a déclaré Paul Beaudry. Il suffit de penser aux ménages, pour qui la richesse et l’accès à du crédit bon marché dépendent bien souvent de la valeur de leur habitation. Les prix des propriétés demeurent élevés et le risque de correction sur certains marchés est un enjeu que nous devons surveiller.

De quelle ampleur serait une correction dans le marché immobilier? Le dirigeant de la banque centrale n’a pas donné d’indicateur précis à ce sujet. Il est important de préciser que la Banque du Canada n’est pas en train de dire qu’elle s’attend à une correction. Néanmoins, les déséquilibres actuels dans le marché de l’habitation peuvent être inquiétants étant donné le niveau élevé de ménages fortement endettés.

Manque de logements, hausse de l’endettement

Le surintendant des institutions financières du Canada, Peter Routledge, dans une allocution devant des comptables à Vancouver mardi, a dit, pour sa part, que le manque de logements contribue à la hausse de l’endettement. Il évoque un déséquilibre persistant entre l’offre et la demande qui tend à faire grimper les prix à des niveaux toujours plus élevés par rapport au revenu, ce qui incite davantage de Canadiens à s’endetter encore plus pour acheter une maison.

Il ajoute qu’un tel déséquilibre ne contribue certainement pas à l’abordabilité du logement pour les jeunes générations, qui perçoivent évidemment cet aspect du rêve canadien comme étant plus difficile et plus long à réaliser que les générations précédentes.

Avec l’inflation qui galope, sur les prix du logement, de l’énergie et des aliments, une menace plane sur l’économie, particulièrement sur la classe moyenne moins riche et les personnes les plus démunies de la société.

Acculés au mur, ces citoyens n’ont pas profité de la hausse boursière depuis 20 mois, n’ont pas vu leur épargne grandir, n’ont pas de patrimoine qui a pris du coffre au cours de la pandémie. Ils n’ont pas de leviers pour améliorer leur niveau de vie et surtout leur qualité de vie. C’est à eux que la ministre des Finances Chrystia Freeland doit penser, d’abord et avant tout, dans la préparation de sa mise à jour budgétaire et de son budget 2022-2023.

Québec : l’obsession du PIB par habitant

Pendant ce temps, à Québec, dans le cadre de sa mise à jour budgétaire, le ministre des Finances Eric Girard a dévoilé la stratégie de son gouvernement pour refermer l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario d’ici 15 ans. Le premier ministre François Legault veut voir le PIB par habitant du Québec rejoindre celui de l’Ontario d’ici 2036.

D’abord, faut-il le rappeler, la richesse ne peut pas se résumer au PIB par habitant. Le PIB est un indicateur incomplet, qui ne prend en compte qu’une valeur de production sans inclure les effets de la destruction de l’environnement ou sans calculer la valeur du capital naturel ou de l’ampleur des programmes sociaux qui protègent le plus grand nombre possible.

Ensuite, l’écart avec l’Ontario s’est rétréci dans les dernières années pour deux raisons : la croissance du Québec a été plus forte que la moyenne des années précédentes, alors que l’Ontario a été frappé plus durement, sur le plan économique, par la pandémie.

De plus, le premier ministre a dit clairement, à plusieurs reprises, que la réduction de l’écart de richesse passe par la création d’emplois qui dépasse le revenu médian des Québécois. Si, sur le plan comptable, l’équation est juste, sur le plan de la cohésion nationale, François Legault semble oublier les personnes les plus démunies de la société.

On ne peut pas valoriser uniquement les emplois mieux rémunérés, il faut aussi soutenir les personnes à plus faibles revenus, les aînés également, dont une proportion importante vit dans une pauvreté relative. Il est rassurant, sur ce point, de constater que le ministre Girard a annoncé une prime exceptionnelle pour les plus démunis et une hausse du montant versé aux aînés de 70 ans et plus qui sont parmi les moins riches.

Le Parti libéral du Canada a aussi promis, en campagne électorale, de bonifier le Supplément de revenu garanti de 500 $ par année pour une personne seule et de 750 $ pour un couple. Nous verrons si cette promesse se retrouve dans la mise à jour de Chrystia Freeland ou dans son prochain budget.

Et si on était plus riche qu’on ne le croyait?

Un ouvrier

PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / DARRYL DYCK

C’est en stimulant la productivité que le Québec souhaite rattraper l’Ontario. C’est un objectif ambitieux et il est certainement souhaitable qu’on puisse, au Québec, réussir à augmenter sérieusement notre productivité, c’est-à-dire notre valeur de production par heure travaillée.

Il faut aussi être réaliste. Comme je l’expliquais dans un texte publié le 20 octobre dernier, le Québec joue en désavantage numérique. Notre population de 25 à 54 ans a baissé de 2,2 % depuis 10 ans, alors qu’elle a augmenté de 4,9 % en Ontario.

Tôt ou tard, avec la réouverture des frontières, la reprise de l’économie et en prenant pour hypothèse que les enjeux dans les chaînes d’approvisionnement seront réglés en 2023, l’Ontario, qui accueille plus d’immigrants que le Québec, reprendra son rythme de croisière économique, généralement plus élevé que le Québec.

Pour renverser la vapeur, pour dépasser l’Ontario, comme le ministre Girard l’imagine dans sa mise à jour, non seulement faudra-t-il augmenter notre productivité, mais il devient urgent de travailler à réduire les pressions de la pénurie de main-d’œuvre et d’augmenter notre population en âge de travailler. C’est un travail de fond, qui demande du temps et du courage.

Augmenter le PIB par habitant est peut-être un objectif louable. Mais, l’enjeu réel qui touche les familles en ce moment, ce n’est pas l’écart de richesse avec l’Ontario, c’est l’inflation, qui dépasse les 5 %. Le pouvoir d’achat de la classe moyenne s’amenuise avec l’inflation qui galope.

L’autre enjeu bien tangible pour l’économie, c’est la pénurie de main-d’œuvre qui devient catastrophique au Québec. Selon les données publiées jeudi matin par Statistique Canada, le Québec comptait 279 000 postes vacants en septembre, un taux de 7,3 %. Avec la Colombie-Britannique, c’est la pire situation du Canada.

Alors, avant de s’attaquer à l’écart avec l’Ontario, il y a des urgences économiques et sociales de taille au Québec. Il faut trouver des travailleurs, calmer la pénurie de main-d’œuvre pour stimuler les entreprises et l’entrepreneuriat, les régions et l’économie dans son ensemble.

Il faut payer nos services publics, faire face au vieillissement de la population et réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Il y a fort à faire pour maintenir le modèle québécois qui cherche, depuis la Révolution tranquille, à réduire les inégalités socioéconomiques, un objectif qui fait du Québec une société bien plus riche qu’on peut le croire!

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