En contexte de télétravail généralisé, le nombre de bureaux remis en sous-location a bondi au centre-ville de Montréal. Une situation qui annonce une détérioration à venir des données fondamentales du marché des bureaux.
ANDRÉ DUBUC
LA PRESSE
Les bureaux offerts en sous-location au centre-ville ont crû de 66 % au quatrième trimestre, portant la superficie totale offerte en sous-location à 761 000 pi², selon une recension effectuée par le courtier CBRE. Ce total représente 16,4 % des locaux à louer dans le quartier des affaires et 1,7 % de l’inventaire total des bureaux du centre-ville.
« La plupart des nouveaux locaux offerts en sous-location au quatrième trimestre proviennent des secteurs des services aux entreprises et de la technologie qui réévaluent leurs besoins en matière d’immobilier », soutient la firme de courtage dans un communiqué.
Une sous-location survient quand un locataire qui n’a plus besoin d’une partie de ses locaux décide de le retourner sur le marché, souvent avec escompte. Le locataire continue de payer le loyer qu’il doit au bailleur. Si le locataire parvient à trouver un sous-locataire, sa facture de loyer sera réduite du montant de la sous-location. Le propriétaire, pour sa part, continue de toucher le plein loyer, que le locataire ait du succès ou non avec sa sous-location.
Dans l’ensemble de la région de Montréal, CBRE évalue qu’il y a actuellement 1,3 million de pieds carrés en sous-location ; Avison Young estime la superficie à 2 millions.
Chaque agence immobilière a sa propre méthodologie pour calculer la disponibilité des bureaux et collecte ses propres données. Tous constatent néanmoins la hausse des locaux offerts en sous-location. « Quand le marché des bureaux encaisse un choc, et le confinement est tout un choc, c’est toujours le segment des sous-locations qui se manifeste en premier », souligne Jacinthe Lachapelle, analyste, Stratégie client et ventes chez CBRE.
« Les chiffres sont renversants »
Laurent Benarrous, associé principal au Québec chez Avison Young, voit se confirmer les craintes qu’il avait exprimées dans nos pages en mai dernier. À l’époque, il estimait que 1,6 million de pieds carrés de bureaux retourneraient sur le marché dans le Grand Montréal chaque année si les locataires se décidaient à réduire leurs besoins de 10 % en raison de la popularité du télétravail chez les employés de bureau.
Relisez notre reportage sur l’immobilier de bureaux au centre-ville de mai dernier
« Les chiffres sont renversants et la croissance des sous-locations est exponentielle, dit-il huit mois plus tard. Depuis le 1er avril dernier, les bureaux disponibles à la location et la sous-location dans le Grand Montréal ont augmenté de 3,3 millions de pieds carrés, l’équivalent de deux tours comme Place Ville Marie. Le tiers de la hausse provient de la sous-location.
« Ce sont les PME, plus agiles, qui ont remis des locaux sur le marché jusqu’à maintenant », a constaté M. Benarrous. De leur côté, les grands locataires du centre-ville, comptables, avocats, ingénieurs, compagnies d’assurance et institutions financières, sont bien avancés dans leur réflexion, mais n’ont encore rien annoncé. Le courtier entend parler de plans de réduction de 20 à 30 % des pieds carrés par utilisateur. De quoi rendre insomniaques les proprios de gratte-ciel du centre-ville.
Les rares grandes sociétés qui ont déjà remis des bureaux sur le marché ont leurs propres raisons de bouger, indépendamment de la COVID-19. Bell Média, en pleine restructuration, a libéré 75 000 pi2 au 1800, avenue McGill College. Bombardier, qui s’est départie de plusieurs divisions dans les derniers mois, réduit son siège social de 50 000 pi2 au 800, boulevard René-Lévesque Ouest. Récemment, Agropur, en mode austérité, a donné un mandat pour sous-louer jusqu’à 84 000 pi2 de son siège social de 100 millions de l’arrondissement Saint-Hubert, à Longueuil.
Je m’attends à ce que les 2 millions de pieds carrés actuels en sous-location doublent au cours des deux premiers trimestres 2021. On pourrait facilement atteindre entre 3,5 et 4 millions dans la région de Montréal.
André Plourde, premier vice-président chez Colliers International à Montréal
La superficie augmentera d’autant plus rapidement, selon M. Plourde, qu’il n’y a pratiquement pas de demande pour les bureaux avec le confinement. « L’activité est au ralenti. Le monde est en mode attente », constate-t-il.
Pas de krach en vue
De son côté, Luciano D’Iorio, directeur général des opérations de Cushman & Wakefield au Québec, refuse de se décourager. « Avant la pandémie, Montréal vivait ses meilleurs moments. Même aujourd’hui, le taux d’inoccupation dans le centre financier demeure sous le niveau d’équilibre [taux ne favorisant ni les locataires ni les propriétaires dans leurs négociations], taux estimé à 10 % », fait-il valoir. M. D’Iorio souligne, de plus, que la construction de nouveaux bureaux au centre-ville se limite essentiellement au nouveau siège social de la Banque Nationale, lequel sera livré en 2023. Une situation qui réduit le risque d’un douloureux krach immobilier comme celui vécu au début des années 1990.
« Les nouveaux baux se font rares, mais il s’en signe », poursuit-il. Son agence a d’ailleurs conclu le bail de SAP et de Mercer à Place Ville Marie l’automne dernier.
La transaction concernant SAP est intéressante à plus d’un titre. La société américaine va sortir de la Cité Multimédia au 111, boulevard Robert-Bourassa où il occupait au moins 120 000 pi2 pour aller dans un immeuble plus prestigieux, au 5, Place Ville Marie, où il n’occupera plus que 66 000 pi2. Précurseur de la tendance à venir ? Les prochains trimestres nous donneront la réponse.
La banlieue épargnée
Selon l’agence CBRE, le phénomène de la sous-location épargne en bonne partie la banlieue pour le moment. La superficie des bureaux offerts en sous-location hors centre-ville a augmenté de 20 % au quatrième trimestre 2020 par rapport au trimestre précédent. Rappelons que la hausse est de 66 % au centre-ville au cours de la même période. « En banlieue, on constate plutôt l’intérêt des gros occupants à ouvrir des bureaux satellites dans les environs des futures stations du REM [Réseau express métropolitain] », a observé Jacinthe Lachapelle, de CBRE. « La Rive-Sud fait preuve d’une résilience incroyable », renchérit Laurent Benarrous, d’Avison Young. « Oui, les sous-locations ont augmenté, mais marginalement », ajoute celui dont la firme a décroché le mandat de sous-location d’Agropur, à Saint-Hubert.