D’un côté de la frontière, à Terrebonne, un quartier « aussi dense que le Plateau Mont-Royal ». De l’autre, à Saint-Lin–Laurentides, un terrain vague qui se transforme graduellement en champ de bungalows.
PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARDLA PRESSEL’allure des nouveaux quartiers résidentiels de la banlieue de Montréal fait l’objet d’une guerre sans merci entre les villes de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et les municipalités situées juste au-delà de ses limites. Un conflit qui sert de décor aux élections municipales qui s’y tiennent actuellement.
En jeu : les règles que s’imposent les municipalités métropolitaines au nom de l’environnement – construire densément, en épargnant les espaces verts et agricoles, autour des transports en commun – et auxquelles leurs voisines immédiates ne sont pas soumises. Bref, condos et jumelés contre bungalows.
« Il faut que les règles du jeu soient les mêmes partout au Québec », estime Marc-André Plante, maire sortant de Terrebonne. « À 10 minutes d’ici, il n’y a absolument rien de ça. […] Les municipalités du pourtour de la CMM n’ont généralement pas de règles à respecter autres que celles dictées par le schéma d’aménagement. Ces critères sont substantiellement plus faibles. » Résultat : des taxes municipales et des coûts d’immobilier plus élevés à Terrebonne qu’à Saint-Lin, par exemple.
« Défaire l’American way of life »
L’entrevue se déroule en plein cœur d’Urbanova, nouveau quartier résidentiel qui devrait à terme accueillir 30 000 résidants. Le secteur est montré en exemple par la CMM. « C’est une ville dans une ville. C’est comme si on créait Sainte-Julie dans les limites de Terrebonne », a illustré l’élu.
Derrière lui, des résidences multifamiliales qui abritent chacune huit condos, installées face à un parc et un jardin communautaire. Le projet compte aussi une pléthore de maisons de ville, de grands immeubles d’appartements et des résidences unifamiliales avec de petits terrains. Des dizaines d’autos sont garées dans la rue, comme dans les quartiers centraux de Montréal.
Le défi d’Urbanova : « défaire l’American way of life des années 1960, 1970, et aller vers un ensemble qui permettra de rentabiliser les infrastructures », selon Serge Gagnon, conseiller municipal sortant du secteur, qui fait partie de l’équipe du maire Plante. Il ne cache pas que de nombreux nouveaux résidants ont eu de la difficulté à s’adapter à leur nouveau mode de vie, avec des voisins plus près et des poubelles collectives pour accélérer la collecte.
Et les nouveaux arrivants d’Urbanova ne seront pas les seuls à devoir s’adapter : à peine 4 % des habitations dont la construction a été autorisée par Terrebonne dans la dernière année étaient des résidences unifamiliales, selon le conseiller Gagnon. Tout un changement au royaume du bungalow.
Mathieu Traversy, qui veut ravir l’hôtel de ville de Terrebonne le mois prochain, ne s’oppose pas à l’adhésion de la municipalité aux objectifs de densification de la CMM. Mais cette transformation doit se faire de façon plus harmonieuse, fait-il remarquer.
La façon dont on va développer notre ville au cours des prochaines années intéresse beaucoup nos électeurs. Beaucoup de projets ont été balayés du revers de la main par les citoyennes et les citoyens au cours des derniers mois, des projets qui ont été mal présentés à la population.
Mathieu Traversy, candidat à la mairie de Terrebonne
M. Traversy fait notamment référence au projet de construction d’une tour de 25 à 32 étages (baptisée « Cachemire ») dans le secteur des Jardins d’Angora. Une modification réglementaire concernant le projet a été désapprouvée par une mince majorité lors d’un référendum local le mois dernier.
« Ce qui revient dans la plupart des dossiers de densification et d’aménagement, ce sont les infrastructures routières, l’accessibilité aux quartiers », a continué M. Traversy. Dans Urbanova – où les résidants sont encore largement dépendants de leur voiture pour se déplacer –, c’est un accès à l’autoroute 640 qui manque.
« J’ai besoin d’espace »
Juste à la limite de Terrebonne (et donc du territoire de la CMM), des ouvriers font sortir de terre des bungalows les uns après les autres à la Seigneurie Villemory, à Saint-Lin–Laurentides. Les rues sont prolongées régulièrement, chaque fois qu’une nouvelle section est inaugurée.
Vers 14 h 30, les enfants sortent de l’école primaire du Ruisseau – inaugurée en 2019 – et envahissent les rues du nouvel ensemble résidentiel.
Patrick Massé, maire sortant de Saint-Lin–Laurentides, en a assez d’entendre les récriminations des maires voisins sur la façon dont sa municipalité se développe. « Je trouve ça aberrant », lance-t-il en entrevue téléphonique, faisant observer qu’elle respectait les obligations imposées par Québec et qu’elle s’était même donné un cadre plus strict pour densifier les secteurs les plus rapprochés de son cœur villageois. « C’est un besoin. Les gens ne partent pas de Montréal et de la CMM pour rien. Ils veulent avoir une qualité de vie, ils veulent des espaces verts. Ils veulent être bien. »
L’élu voudrait que l’on arrête de considérer Saint-Lin comme une simple lointaine banlieue de Montréal et qu’on reconnaisse plutôt la ville comme le centre urbain de la MRC de Montcalm. M. Massé tentera justement d’en devenir préfet le 7 novembre. Le principal candidat à sa succession, Mathieu Maisonneuve, a indiqué qu’il exposerait sa « vision en tant que maire [seulement s’il a] la chance d’être élu ».
Rencontrés devant leur maison de la Seigneurie Villemory, Rachel Fontaine et Jonathan Beaudoin font prendre l’air à leur nourrisson de seulement 5 jours. Ils ont acheté leur maison à Saint-Lin après avoir vécu en condo à Terrebonne.
« Après le condo, des voisins collés, c’était fini pour moi », dit la nouvelle mère. « J’ai besoin d’espace. On a choisi le terrain parce que c’était l’un des plus larges disponibles au moment où on a acheté », a continué son conjoint.
La sœur de ce dernier, Vickie Beaudoin, vient de s’installer dans le quartier il y a cinq mois. Elle a accouché deux mois plus tard. « C’est vraiment très, très, très familial », explique-t-elle.